mardi 25 janvier 2011

Duane Michals, des rêves en images



J'ai découvert le travail de Duane Michals il y a seulement quelques semaines et je dois dire que j'ai réellement été séduit. D'abord, j'aime bien sa façon de raconter de petites histoires, souvent déroutantes, avec des moyens qui restent très simples. Ensuite, j'aime quand il mêle le texte et les images, les photographies étant accompagnées de quelques phrases manuscrites. Enfin, j'aime les interrogations posées par ces images étranges et souvent surréalistes.

Retour sur quelques images de ce photographe américain né au début des années 30.

Pour commencer il y a cette image :
The illuminated man - 1968 - Duane Michals
Cette photo est très célèbre et illustre ce que j'aime dans la démarche de Michals : une économie de moyens, des effets très simples et pourtant au final une photographie qui pose des questions et reste immédiatement en mémoire.

Le thème du cours de photo en ce moment est l'autoportrait. Je ne sais pas si cette photo est un autoportrait -et à vrai dire je ne veux pas le savoir, elle se suffit à elle-même sans plus d'explication-  mais j'aimerais m'en inspirer pour réaliser un deuxième "autoportrait anonyme" (cf. L'envers de moi), cette fois-ci un peu moins alambiqué que le premier.

Ensuite il y a cette photographie qui représente le père, la mère et le frère de Duane Michals :
A Letter from my father - 1975 - Duane Michals
Tout est dans le titre sauf que... on ne voit pas du tout le lien entre cette photo et cette "lettre de mon père". Michals s'explique à ce sujet dans un petit film de la série "Le renouveau de la photographie contemporaine" réalisé par Dominique Dubosc :

"Je connais mes parents depuis toujours et jamais ils ne se sont montrés à moi. J'ai photographié ma mère, mon père et mon frère au début des années soixante à Manhattan. Mon père avant cinquante ans, mon frère vingt et ma mère... ma mère avait son âge. J'ai d'abord photographié mes parents, mais ces photos me rendaient très malheureux, alors j'ai essayé différentes combinaisons avec mon frère. Si vous saviez le secret de notre famille vous trouveriez la photo que j'ai finalement choisie bien plus révélatrice qu'elle n'en a l'air.
Bien des années plus tard, quand mon père est mort, j'ai écrit un texte sous cette photo et je l'ai appelée "Une lettre de mon père". C'est un texte sur notre relation, par sur ce qu'il avait l'air d'être mais sur ce qui s'est passé -ou pas- entre nous.
Le texte dit :
"Une lettre de mon père".
"Autant que je m'en souvienne mon père m'a toujours promis de m'écrire une lettre, juste pour moi, mais il ne m'a jamais dit sur quoi. J'ai souvent essayé de deviner quel secret, quel mystère, quelle révélation nous allions enfin partager. Je sais ce que j'espérais lire dans la lettre, j'espérais qu'il me dise où il avait caché sa tendresse. Mais il est mort, le lettre n'est jamais arrivée, et je n'ai jamais trouvé l'endroit où il avait caché son amour."

L'association de cette photo qui paraît banale au premier abord, mais qui est aussi réellement intrigante, avec un texte aussi fort, me paraît particulièrement réussie. Là encore la simplicité des moyens, le simple jeu des regards, l'écho avec le texte en légende, tous ces éléments produisent un effet puissant et une réelle émotion.

Voici une autre série d'images intéressante : "Things are quere", les choses sont étranges. Dans le même reportage Michals explique sa démarche :
"Les photographes s'imaginent que la photo dit tout simplement ce qu'on voit, et que cette réalité c'est la vérité. Moi je n'y crois pas trop à ça, je pense que la réalité est plutôt faite de contradictions, et c'est quelque chose que j'aime bien montrer dans mes photos. J'aime bien contredire ce que vous croyez voir. Dans "Les choses sont étranges" chaque photo contredit la précédente. La séquence commence avec cette image d'une salle de bains...

...dans laquelle apparaît sur la photo suivante un pied géant. La contradiction vient de la taille du pied qui ne cadre évidemment pas avec la salle de bains.
A partir de la troisième photo l'appareil commence à reculer, on découvre l'homme qui se tient pieds nus dans cette petite salle de bains, mais ça reste incompréhensible. L'échelle est impossible, on ne sait toujours pas à quoi s'en tenir.
La séquence continue et on retrouve l'image de l'homme à la salle de bains dans un livre. On voit un gros plan d'un livre avec un énorme pouce qui contredit de nouveau la photo précédente.
L'appareil recule toujours et on découvre un homme debout dans une espèce de passage et on aperçoit le livre par dessus son épaule.
On recule encore et l'image se retrouve tout à coup dans un cadre.
Nouveau recul, le cadre a l'air d'être accroché au-dessus d'un lavabo.
Et finalement on revoit exactement la même photo qu'au début, sauf que cette fois on remarque bien la petite photo encadrée. Donc on se rend compte que la vérité -la vérité de chaque photo- a toujours été démentie par la photo suivante, et ainsi de suite."

Voilà une série typique du travail de Duane Michals, une réflexion sur ce que l'on voit, ce qui est donné dans l'image et qui semble vrai et qui l'instant d'après est contredit par une autre image qui semble tout aussi "vraie" que la première...

lundi 17 janvier 2011

L'envers de moi

"Photographier l'autre", ce sera le prochain thème du cours pour ce trimestre avec auparavant un petit détour par l'autoportrait. C'est bien connu : "Je est un autre"...

Les envies et les contraintes
Autoportrait donc, d'accord. Un sujet intéressant mais en ce qui me concerne avec plusieurs contraintes :
- Si je trouve l'idée de prendre des photos moi assez motivante, je n'ai pas forcément envie de montrer ces portraits sur internet. Mais je ne me vois pas non plus animer ce site avec un article ou je vous raconte que j'ai pris une super photo de moi, qu'elle est comme ci et comme ça, sans vous la montrer réellement. Donc sur cet autoportrait... je ne souhaite qu'on me reconnaisse pas facilement.
Gary Schneider - Heads - Thomas 2008
- Question technique, je souhaiterais poursuivre les expériences en argentique pour améliorer mon expérience du développement du film et du travail sous l'agrandisseur. Ne sachant pas exactement où je vais il faut donc être prêt à brûler un peu de pelloche pour un résultat incertain.
- Enfin, j'ai longuement ruminé plusieurs idées concernant la mise en scène de cet autoportrait. Pour ce premier essai j'avais envie d'expérimenter des photos prises dans le noir avec une petite lampe de poche qui éclaire mon visage, une sorte de light painting. J'aimerais adapter la technique mise en oeuvre par Gary Schneider : ce photographe prend des photos dans le noir total, illuminant son sujet avec un minuscule filet de lumière. Lors de la prise de vue il explore donc littéralement le corps de l'autre. Au final l'éclairage très particulier et le très longs temps de pose (plusieurs dizaines de minutes) produisent des images très originales et intrigantes.

La technique et les difficultés
Je me lance donc et première difficulté : se positionner par rapport à l'appareil. Il s'agit d'un réflex argentique, donc pas question comme en numérique de faire des images et de vérifier immédiatement si tout est bon. Là, on prend des photos et on aura la surprise lors du développement du négatif...
Deuxième difficulté : la mise au point et le temps de pose. J'essaie de faire une mise au point approximative. Dans le doute, je ferme le diaphragme à f/11 pour avoir une bonne profondeur de champ. Pour ce qui est du temps de pose, ben... c'est la grande inconnue ! Comment estimer la durée d'exposition avec la lumière produite par ma toute petite lampe de poche ? Je l'ai enveloppée dans un papier d'aluminium pour ne laisser échapper qu'un petit filet de lumière. Je choisis de faire des essais à 10, 20 et 30 secondes.
Troisième difficulté : déclencher, s'éclairer, ne pas bouger. Pour le déclenchement j'utilise une petite cellule infrarouge qui permet de démarrer la pose sans intervenir sur l'appareil photo. Après, on s'amuse à s'éclairer et on se rend compte que tenir une pose durant 30 secondes et bouger son bras pour déplacer la lampe de poche ne peut pas se faire sans... bouger la tête. Dès la prise de vue je sais donc  que mes images seront floues mais je décide de poursuivre l'expérience. Pour que les photos ne me représentent pas de façon trop reconnaissable je décide même, sur certaines images, de me tartiner le visage de mousse à raser (ben oui de la mousse à raser. Création quand tu nous tiens !). La mousse à raser est blanche, elle va donc bien réfléchir la lumière. Elle permet aussi de masquer certains traits du visage et de donner plus de "texture" en créant de petits reliefs. En vous racontant tout cela je dois préciser une chose importante : non je ne consomme aucune substance illicite, promis :-)

La déception et... la déception
Voilà. Donc vous imaginez la scène : je suis dans le noir, avec ma mousse à raser de partout, je déclenche l'appareil et j'essaie d'illuminer certaines zones de mon visage. L'expérience s'arrête au bout d'une vingtaine d'images pour deux raisons. La première est que la pile de l'appareil photo lâche, elle était pourtant neuve. Est-ce parce que les longues poses sollicitent trop la batterie ? ou bien l'appareil est-il resté allumé alors que je pensais qu'il était éteint ? Je ne sais pas, toujours est-il qu'au bout de 20 minutes la pile rend l'âme sans prévenir. Je suis pourtant assez content d'arrêter la séance de façon prématurée car un deuxième facteur intervient : la mousse à raser finit par me démanger tout le visage :-)

Le lendemain soir je développe le film et c'est la deuxième déception. Voilà ce que ça donne.

Vous ne voyez rien ?
C'est normal, il n'y a -presque- rien d'enregistré sur le film :-((( Le temps de pose trop court et surtout le diaphragme trop fermé -f/11- font qu'il n'y a presque rien à voir et le négatif est pratiquement entièrement blanc.

La dernière déception et le résultat final
Une seule image semble exploitable, je décide d'essayer d'en faire un tirage quand même au risque de gâcher un peu de bain de développement. Sous l'agrandisseur l'image a l'air finalement intéressante. Assez graphique, on y devine les contours d'un visage et quelques traits bizarroïdes : ce sont les marques laissées par la lampe de poche qui, à un moment ou un autre, a dû involontairement se retrouver face à l'objectif.

Le fameux autoportrait sous l'agrandisseur, l'image est bien sur en négatif.
On voit aussi le margeur qui permet de délimiter proprement le bord des images et,
en haut à gauche, le passe-vue, accessoire bien utile pour couper automatiquement
l'éclairage de l'agrandisseur quand le temps d'exposition choisi est atteint.
Une fois tirée, l'image perd beaucoup de son intérêt. Son côté graphique disparaît car le regard est attiré par les zones claires de l'image, or celles-ci sont floues et indistinctes. Bref, c'est une déception supplémentaire et j'abandonne l'idée de tirer quelque chose d'intéressant de cette image.

Et puis non, quand même, il y a peut-être encore une dernière chose à faire : si l'image en négatif est plus intéressante que la version en positif, pourquoi ne pas faire un tirage papier en négatif ? En informatique pas de souci, en un clic c'est fait, mais avec un agrandisseur on fait comment ? La solution existe même si le cheminement est un peu long : j'ai mon film en négatif qui sous l'agrandisseur donnera un positif sur le papier. Si je prends ce positif et que je le "projette" sur un autre papier photo j'aurai un tirage papier mais cette fois-ci en négatif... Ce procédé, très ancien, reprend les principes des calotypes du XIXème siècle.
Concrètement on fait un sandwich de deux papiers photo. Le tirage positif est placé sur une feuille photo et on expose le tout à la lumière de l'agrandisseur. Le temps d'exposition n'est pas facile à déterminer et on perd bien entendu en "résolution" (avec une montée importante du grain car on cumule le grain du film avec celui du papier). Mais comme mes images sont floues c'est un inconvénient qui n'a pas beaucoup d'importance ici :-)

Donc, après plusieurs heures de travail, voici enfin le résultat tant attendu.
Pam-pam-pam ! Roulements de tambours.
Canon Eos 100 - Zoom 30-80mm - 50mm à f/11 - Pause de 30 secondes
Filtre grade 1- Premier tirage papier 13x18 : 25 secondes à f/8 - Contretype pour obtenir un positif : 20 sec. à f/2.8

Bon, à première vue on n'a pas l'impression qu'il faut des heures pour obtenir ça.
A deuxième vue on se dit qu'il y a une certaine marge avant d'obtenir des résultats qui se rapprocheraient de Gary Schneider.
A troisième vue on se demande qui est sur l'image.
L'objectif est donc en partie atteint : c'est un autoportrait où je suis très clairement... méconnaissable :-)

samedi 8 janvier 2011

Clark et Pougnaud à la Filature

Comment bien démarrer l'année ? Peut-être par une petite expo photo, non ?
Les artistes Clark et Pougnaud sont actuellement exposés à la Filature à Mulhouse. Petite visite d'une expo aux compositions naïves et intimistes.

Bon d'abord, que dit la plaquette de l'expo ?
"Le couple d'artistes, Clark et Pougnaud travaillent ensemble depuis douze ans. Installés à Paris ils produisent environ dix images par an, créant un univers issu du mélange de la peinture, de la photographie et de la scénographie. Pougnaud est peintre ; son inspiration vient du théâtre, particulièrement des décors de scènes. Elle réalise les décors et le maquettes dans lesquels viennent s'insérer les photographies des personnages. Clark est photographe de studio depuis vingt-cinq ans, il retouche lui-même ses photographies. ils définissent leur approche par le terme "slow art" dont ils revendiquent l'appartenance : "La beauté pour nous, réside dans le respect du pas lent de l'Homme tranquille".
Bien qu'ils se servent des outils numériques et que la technologie fasse partie de leur vie, ils souhaitent conserver autant que possible une approche argentique et manuelle dans leurs photographies. Les artistes ont une démarche qui se veut ludique et non conformiste, ils travaillent à l'ancienne et prennent le temps de lier avec leurs modèles une relation amicale avant de leur fabriquer un décor sur mesure. Chacune de leurs images raconte une histoire.
Ils ont reçu la mention spéciale du prix Arcimboldo en 2000 et ont été les lauréats de la fondation photographies HSBC en 2006."

La première partie de l'expo est consacrée à un "Hommage à Edward Hopper".
Clark et Pougnaud - Anne-Charlotte, Arnaud et Stéphane, 2000
Ces photographies reprennent des scènes peintes par Edward Hopper pour l'essentiel peintes dans l'entre deux guerres :
E. Hopper - Noctambules, 1942

"Nous avons été séduits par le cadrage, la lumière, la mise en scène des tableaux d’Edward Hopper.
Nous n’avons pas cherché à reproduire ses tableaux mais à nous en inspirer plus ou moins. Nous nous sommes approchés à pas silencieux pour ne pas déranger l’ordre apparent.
Nous avons choisi de faire poser des comédiens, car ils savent habiter une apparente immobilité, et parce que nos décors ressemblent à ceux du théâtre."

Clark et Pougnaud - Bella, 2000
Le parcours du visiteur est ponctué de petites mises en scènes humoristiques.

Les photographies sont mises en scène et accompagnées de petits décors :

Clark et Pougnaud - Bérénice, Rosalie et Fanica, 2004
Clark et Pougnaud - Bérénice, Rosalie et Fanica, 2004
"Des caravanes jaune soleil sur un terrain vague,
Une chèvre qui broute sans se soucier de rien,
Des enfants qui vivent naturellement,
Un homme qui joue du violon sur le marchepied de sa roulotte,
Une femme qui cuit des beignets sur un brasero, un jongleur,
Des acrobates, une mère qui allaite, une autre qui chante…
Quand on pénètre chez les Romanès, avec ou sans chapiteau,
On entre chez des gens qui vivent plus près des étoiles et des oiseaux
Pour partager avec eux un moment d’humanité."


Enfin, une dernière partie, "Enfance et contes de fées", présente des images oniriques de personnages de contes comme le petit poucet ou le chaperon rouge dans une mise en scène bucolique et naïve.

Clark et Pougnaud - L'Ascension, 2000
Pour en savoir plus, le site des deux artistes : http://www.clarkpougnaud.com